Un autre Akira Yoshimura: liberté conditionnelle.
On suit les ruminations d'un prisonnier à perpétuité - pour le meurtre par jalousie de sa femme et de la mère de son amant - à sa sortie en liberté toute relative. En découvrant, hors les contraintes administratives de la conditionnelle (référer à ses tuteurs de ses agissements) les inconvénients du tohubohu extérieur dans la crainte d'être découvert, le personnage principal a bien du mal à renouer avec les autres. Même via les étales transitionnelles - un peu schématiques - de l'appartement personnel, des poissons rouges, de l'épouse désignée.
J'ai focalisé ma lecture de cette situation - où le personnage (Kikutani) admet avoir commis un acte originel comme une réalité qu'il ne peut effacer - sur le processus de transformation au delà du "gel de la prison".
L'auteur montre bien que la chappe de l'oubli ne libère pas l'esprit des tortures, des cauchemars ou des remords.
Le passé pourrait être dépassé pour revivre la "faute originelle" et la transcender, dans un mouvement accompagné par le regard des autres. Mais voilà cet espoir est déçu: Kikutani craint ce regard vécu comme perpétuellement accusateur . Il a de moins en moins conscience d'avoir commis une faute, mais d'avoir été manœuvré sans colère ni haine dans l'accomplissement de ses crimes dont le souvenir ne lui inspire plus aucune empathie envers ses vivictimes. Et il s'enferme .
Le cadre lui même; les lieux ne renvoient même plus à Kikutani les images/sensations réparatrices attendues.... rien n'efface la conscience de sa faute. Ni les poissons rouges qui semblent le réhabiliter à la vie, ni l'épouse ménagère gentiment imposée n'arrivent à le sortir du monde dans lequel il vivait retiré.
J'ai rapproché cette incapacité à la compassion aux autres, qui en retour oblige à se claquemurer, au commentaire qu'Alain Finkelkraut (1) fait de l'attitude d'Henrik - personnage des Meilleurs intentions de Bergmann - :
"en refusant de délier ses grands parents de leur faute - la révocation de leur fille - Henrik s'enferme avec eux. Il subit la peine qu'il inflige. Il ne les laisse pas sortir mais lui non plus. Il se condamne à la macération perpétuelle. Il fait les cent pas dans sa mémoire comme le prisonnier dans sa cellule".
Je rapproche cette attitude à la manière dont les bourreaux ont été "pardonnés" par la population rwandaise dans certains villages, et se sont sentis d'eux mêmes devoir à jamais réparer en aidant la population.
Je pense aussi, dans un autre registre, à ces interactions étudiées entre les animaux: ceux qui émettent des attitudes "d'empathie" ou d'entraide sont ceux qui sont aussi le plus destinataires des attitudes bienveillantes de leurs congénères (cf. Jean Claude Ameisen).
Et je me dis que les pays/populations qui ont vécu des traumatismes importants (par exemple les conquérants, envahisseurs, comme le furent les japonais) ne doit pas aider les générations suivantes à se défaire de la culpabilité des atrocités commises par leurs ainés.
Tout ça me rapproche de la gestion sociale de l'empathie. Mais tout reste à mettre en œuvre. A commencer par moi même.
Akira Yoshimura - Liberté conditionnelle - Babel - Actes Sud - 2012.
Alain Finkelkraut - Et si l'amour durait . Stock - 2011
Ingmar Bergmann - Les Meilleures intentions - Gallimard 1992.
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